Si Pessac m’était contée… Plongée dans l’histoire de la troisième commune de Gironde – Sud Ouest
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« J’habitais ici dans les années 1900, et je vais vous raconter l’histoire de Pessac et de son développement. Prenez cette place par exemple. Elle a changé plusieurs fois de nom et on la doit à Herman Lemoine. Il fut le maire de la ville pendant trente ans et à l’origine de son développement. Bon, il est vrai que je n’y reconnais pas tout », lance-t-elle avec humour à la vingtaine de visiteurs qui l’entourent.

Patricia Marini
Sur ce territoire entre landes marécageuses, forêts de pins maritimes et vignes, la ville s’est étalée autour d’un bourg originel composé de l’église et de six maisons, entouré de villages de vignerons. On y dénombrait 500 habitants au XVIIIe siècle, et dix fois plus en 1910. Il faut dire que l’arrivée de la ligne de chemin de fer Bordeaux-La Teste-Arcachon en 1841 a mis un sérieux coup d’accélérateur à son urbanisation. « J’étais contente de voir que l’église n’avait pas changé », commente la guide. Sur la place subsistent encore deux bâtisses du XVIIIe, la pharmacie et son balcon en fer forgé à tête de lion et celle du Dr Cazaux, la plus ancienne du centre-ville. Quant à l’hôtel de ville, « on a plaqué sa façade sur une chartreuse », et il faut attendre 1927 pour que soit dressé le monument aux morts inscrit aux Monuments historiques, qui restitue une scène de la fin de la Première Guerre mondiale.

Patricia Marini
Divertissements
« Cette place, je l’ai connue avec beaucoup d’animation : on vient s’amuser à Pessac. Le tramway y circule dès 1896, même si le préposé a bien du mal à dégager ses rails du sable et des cailloux, car la route n’est pas goudronnée ! » Deux ans plus tard, il mènera même jusqu’au rond-point de l’Alouette, qui tient son nom d’une fameuse guinguette. Elles bordent alors la route d’Arcachon. L’Élysée, en lieu et place du magasin de vêtements Cazaux, est la plus prisée. Bals, concerts, salles de billard y attirent les jeunes Bordelais jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. « C’est là que j’ai rencontré Eugène, mon futur mari, qui arrivait avec ses amis en baladeuse, les cheveux au vent dans les remorques ouvertes », narre la conteuse en sortant un médaillon contenant son portrait.
Pour donner vie à son récit, la guide a puisé dans de multiples sources, et notamment les journaux de l’époque
Les divertissements ne manquent pas, avec, à la place de l’actuel cinéma Jean-Eustache, un ciné-théâtre adossé au Café de l’Orient et sa salle de bal. En point d’orgue : un casino inauguré en 1897, à l’initiative du promoteur François Pommez, qui crée ce temple du plaisir pour mieux vendre les 16 villas qu’il construit autour, sur le modèle des arcachonnaises. Style néomédiéval avec porche et tourelle pour certaines, façade orientale pour d’autres, balcons en bois décoratif, pignons et vérandas, cet urbanisme d’apparat vise à « se cacher mais pas trop, voir tout en étant à l’abri ». Las ! le casino prend feu en 1903 et le quartier perd de son attrait pour les amateurs de distractions.

Patricia Marini

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Pessac se caractérise aussi par ses nombreuses maisons dites « pessacaises », moins opulentes que les « arcachonnaises » mais tout aussi typiques de l’architecture balnéaire. On en dénombre près de 300, dont certaines sont situées au bout du petit passage Saint-Jacques. Pour le rejoindre, on longe le plus ancien commerce de la ville : les chais Biot n’ont pas changé d’activité et sont restés dans la même famille depuis 1848.

Archives Bordeaux Métropole
Première station climatique

Patricia Marini
Mais, dans les années 1900, on vient aussi à Pessac pour prendre le bon air. En 1920, la ville cernée par la forêt est classée station climatique. Avec une devise : « In me sanitas et robur » (« En moi, la santé et la force »). Le vignoble y est encore très présent, même s’il est passé de quelque 300 hectares au XIXe siècle à une centaine dans les années 1930. Entre les rangs de raisin, on cultive même la traditionnelle fraise de Pessac, qui s’exporte en train jusqu’à Paris.

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Avec cette balade truffée d’anecdotes et illustrée par des photos d’archives et cartes postales en noir et blanc, la guide-conférencière Catherine Déjardin plonge les visiteurs dans le passé, en incarnant le personnage qui lui sert de fil rouge. Elle anime également la visite « Pessac insolite », qui, de l’autre côté des rails, guide les touristes et locaux à travers le parc Razon, le domaine Azam et le quartier plus modeste de Sardine. L’occasion de s’arrêter devant la statue « La Musique » du sculpteur parisien Louis Schroeder, arrivée tout droit de l’Exposition universelle de 1878, devant la maison de plaisance de l’historien Camille Jullian, ou bien d’évoquer les blanchisseuses qui ramenaient pour le nettoyer le linge des nantis bordelais. Avec à la clef quelques faits divers croustillants, dont le premier duel féminin, qu’elle relate avec de nombreux détails. La guide a en effet puisé dans de multiples sources, et notamment les journaux de l’époque, pour donner vie à son récit.

Patricia Marini
Ces visites ont pour objectif d’inciter les habitants de l’agglomération, voire de plus loin, à découvrir les nombreuses facettes d’une commune qui peut s’enorgueillir de quelques joyaux : « Les quartiers modernes Frugès » bâtis par Le Corbusier sont dorénavant inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco au titre de son œuvre, la Cité des Castors est labellisée Patrimoine du XXe siècle, et la réputation de ses grands crus, qui se visitent à l’année, a fait le tour de la planète. Il y a indéniablement matière à y faire un véritable voyage dans le temps, au prix d’un simple ticket de tramway.